Affaire Matzneff : les “consentements” ne sont-ils pas multiples ?
« Le Consentement » (Grasset), le livre écrit par Vanessa Springora, est un récit glaçant sur l’emprise d’un écrivain pédophile sur une très jeune adolescente. Vanessa Springora raconte avec minutie (et talent) sa jeunesse dévorée par le monstrueux Gabriel Matzneff.
Au fil des pages, je me suis posé une question : ce «consentement» destructeur que la très jeune fille a accordé au vieux pervers criminel n’a-t-il pas été toléré et même encouragé par les parents de Vanessa ?
Les parents sont séparés. Le père est absent et fantasque mais il apprend très vite que sa fille de 14 ans a une relation sexuelle suivie avec un quinquagénaire célèbre. Il s’insurge, comme le raconte Vanessa, mais n’engage aucune procédure, ne dépose aucune plainte.
La mère vit avec sa fille unique. Elle travaille dans le milieu de l’édition. Elle sait très bien qui est Matzneff qui n’a jamais caché la nature de ses appétits sexuels dévorants. Au contraire, Matzneff les raconte en détails dans ses nombreux livres et s’en vante à la télévision.
La mère de Vanessa laisse cette relation pédophile s’installer. Elle n’intervient pas quand Vanessa, collégienne, délaisse ses études et passe le plus clair de son temps avec le vieux Matzneff dans une chambre d’hôtel. Mieux encore, comme le raconte Vanessa, la mère organise de charmants petits dîners chez elle. Joli trio : Matzneff, la mère et Vanessa. La sainte trinité, comme le dit Vanessa.
« C’est souvent à ma mère que je m’en prends », écrit aujourd’hui Vanessa Springora dans son livre. Elle a raison. Les prédateurs sont les premiers coupables mais ils n’agissent que si les circonstances sont propices.
Matzneff avait trouvé un terrain particulièrement favorable : la fille unique d’un couple séparé, une gamine livrée à elle-même par une mère peu scrupuleuse et probablement peu désireuse de créer un scandale dans le milieu littéraire où était son gagne-pain. Cela n’excuse en rien les agissements criminels du pédophile. Mais cela explique largement pourquoi ils ont pu durer plusieurs années, en toute impunité.
L’accord implicite donné par les parents, on le retrouve dans d’autres histoires célèbres de ce genre.
C’est la mère de Samantha Geimer qui avait consenti que sa fille de 13 ans participe à des séances de photos que faisait le cinéaste Roman Polanski pour le magazine Vogue en 1977 à Los Angeles. Sujet : les jeunes filles. La première séance de photos a eu lieu près de la maison familiale de la jeune Samantha. Polanski avait photographié l’adolescente de 13 ans seins nus.
Ce qui n’a pas empêché la seconde séance de photos de se dérouler, cette fois dans la maison de Jack Nicholson (qui était absent). C’est la mère de Samantha qui a déposé sa fille à cet endroit. Elle laisse Samantha, 13 ans, avec un adulte dans cette maison sans se poser de question. Polanski fait boire du champagne à Samantha et lui donne un sédatif. Et il abuse d’elle. La jeune fille, en rentrant chez elle, raconte ce qui s’est passé et les ennuis judiciaires de Polanski commencent.
Sans exonérer le cinéaste, on peut se demander, dans le contexte de liberté des mœurs à Hollywood à cette époque, si une mère a fait le bon choix en laissant s’organiser ces deux séances de photos avec sa fille mineure.
De la même manière, malgré plusieurs scandales retentissants et les informations très circonstanciées qui circulaient sur le chanteur Michael Jackson dans les dernières années de sa vie (il est mort en 2009), on est en droit de s’interroger sur l’attitude des parents qui déposaient leurs enfants (parfois âgés de 10 ans) devant la grille du ranch Neverland, propriété de la star. Ces enfants passaient le plus souvent la nuit dans le lit du King of Pop, comme l’ont démontré plusieurs procédures judiciaires.
La pédophilie est un crime. Les vrais coupables sont les pédophiles. Mais ils bénéficient parfois d’un complicité effrayante, plus ou moins tacite, celle de l’entourage familial des enfants.
Jérôme Godefroy (janvier 2020)