Agnès Varda et les sex-shops de New York
La disparition à l’âge de 90 ans de la réalisatrice Agnès Varda me rappelle une anecdote cocasse de ma période américaine.
Dans les années 90, Rudolph Guiliani était maire de New York. Précédemment, en tant que procureur, il s’était attaqué à la mafia. Comme maire, il voulait, entre autres choses, éradiquer la pornographie. Il souhaitait assainir les sex-shops, encore très nombreux dans la ville. Il avait édicté une réglementation qui imposait aux tenanciers de ces commerces de vendre au moins 50% de marchandise sans contenu érotique ou pornographique.
Les boutiquiers du sexe, pour remplir leurs étagères de produits convenables, avaient acheté au poids et au rabais de grosses quantités de cassettes VHS au rebut (nous étions dans l’époque pré-DVD). Il s’agissait de films invendus, croupissant dans les entrepôts des grossistes, le plus souvent des films étrangers.
Un jour, passant devant un sex-shop près de chez moi, dans le West Village, j’aperçois en vitrine plusieurs cassettes de films d’Agnès Varda, mélangés à des films beaucoup plus dénudés et suggestifs. Je rentre dans la boutique où, sur les étagères, dans le rayon des œuvres respectables destinées à faire contrepoids à la pornographie, s’étalaient des dizaines de cassettes des principaux films de la réalisatrice française. Les rares clients présents ce jour-là dans le magasin s’intéressaient davantage aux autres présentoirs, moins « ciné-club » et carrément « ciné-cul ».
Quelques jours plus tard avait lieu à New York le traditionnel festival du cinéma français. A cette occasion, je suis convié à un déjeuner au consulat de France sur la 5ème avenue. Par un hasard extraordinaire, je me retrouve assis à table à la droite d’Agnès Varda, invitée d’honneur du festival. Au cours du déjeuner, je ne résiste pas à la tentation de lui dire que ses films sont très en vogue actuellement dans les sex-shops de New York. Elle s’étonne. Je lui explique la réglementation municipale. Elle s’offusque, elle fulmine et jure qu’elle va intenter une action en justice.
Je ne sais pas si elle l’a fait. Dans les mois qui ont suivi, les films de Varda étaient toujours en rayon dans le sex-shop près de chez moi.
Jérôme Godefroy (29 mars 2019)