Bernard Tapie, la mafia de New York et moi.
J’ai un souvenir étrange concernant Bernard Tapie. Cela remonte aux années 90, lorsque j’étais correspondant de RTL à New York. Il est question de mafia et de menaces physiques. Laissez-moi vous expliquer.
A cette époque, l’homme d’affaires avait purgé une peine de prison de 8 mois dans le cadre du match de football truqué entre l’OM et Valenciennes. Il devait, dans le cadre de sa réinsertion, trouver du travail. Parmi d’autres emplois, il avait déniché un contrat de consultant avec une petite entreprise de construction basée à Queens, un quartier de New York. Il s’agissait de la société « US Bridge » dirigée par un certain Joseph Polito.
Mon confrère Luc Lamprière, correspondant de Libération à New York, me parle de cette histoire. Nous faisons des recherches dans les registres du tribunal de commerce de New York. Joseph Polito paraît mêlé à quelques affaires louches dans la mouvance de la puissante famille Gambino, l’une des branches les plus puissantes de la mafia italienne dont le parrain était le célèbre John Gotti.
Luc Lamprière m’accompagne dans une petite visite de l’entreprise « US Bridge » à Queens, New York. Les bâtiments semblent déserts. La boîte paraît fantomatique. Nous passons quelques coups de fil sans résultat.
Quelques jours plus tard, je reçois chez moi un appel téléphonique un peu inquiétant, sorti tout droit d’un film de Scorsese. Un homme s’adresse à moi en anglais avec l’accent italien de Robert De Niro incarnant Al Capone dans les Incorruptibles : « Bonjour monsieur Godefroy, vous habitez bien au 8ème étage du 421 Hudson Street, appartement 812 ? Vous déjeunez souvent au petit restaurant en face ? Nous savons beaucoup de choses sur vous. Avez-vous vraiment l’intention de parler de monsieur Polito sur votre radio en France ? »
Je suis médusé car le ton de mon interlocuteur anonyme n’est pas celui de la plaisanterie. C’est clairement celui de la menace. La conversation est brève, ce qui ajoute à son intensité.
Je n’ai pas l’intention de jouer au héros. J’appelle la rédaction de RTL à Paris qui est dirigée à l’époque par Olivier Mazerolle. Je lui raconte l’histoire. Il me conseille de laisser tomber. Je suis soulagé. Je n’aurais pas les genoux broyés par un camion de l’entreprise Polito.
Quelques années plus tard, je suis invité à l’inauguration du magnifique immeuble LVMH sur la 57ème rue à Manhattan. Bernard Arnault, le grand patron, a fait le voyage. Un dîner fastueux est présidé par Hillary Clinton. Je me retrouve à une table en compagnie de représentants de sociétés du bâtiment ayant participé à ce projet piloté par le grand architecte français Christian de Porzamparc. J’avais remarqué dans le dossier de presse que l’entreprise de Joseph Polito, le même Polito du Queens, avait contribué aux travaux. Je mentionne le nom de Joseph Polito au cours du dîner. Silence embarrassé des convives. Je comprends que ce nom sent le souffre. Je n’insiste pas.
Tout cela ne signifie pas que Bernard Tapie a travaillé sciemment pour la mafia italienne de New York. Il avait juste signé un contrat sans se déplacer, par l’intermédiaire d’un avocat. Rien de plus. Il ne savait probablement rien de Joseph Polito et ne l’a jamais rencontré.
C’est la seule fois de ma carrière où j’ai renoncé à traiter un sujet sous la pression. J’ai cédé sous la menace, une menace physique. Je dois rendre hommage à mon confrère Luc Lamprière qui, lui, ne s’est pas dégonflé. Libération a publié un article sur les liens (très ténus) entre Tapie et Polito. On pourra le lire en cliquant ici.
Jérôme Godefroy (3 octobre 2021, jour de la mort de Bernard Tapie)