feuilleton bienveillant quoique sarcastique
CHOSES VUES AU CAFÉ DE FLORE
1er épisode — 12 août 2023 — DANS LA TORPEUR DE L’ÉTÉ
Juan Branco avait revêtu un tee-shirt « Soulèvements de la terre » par dessus son boubou marchandé âprement à Dakar et tapait la discute au café de Flore avec Médine, tout juste sorti du salon du barbier tout proche.
Le tour d’horizon de l’actualité était large, de la mort de Geneviève de Fontenay aux mérites comparés de l’analyse de la guerre en Ukraine par Mireille Mathieu et celle avancée par Hélène Carrère d’Encausse.
Les deux compères devisaient gentiment lorsqu’ils aperçurent Antoine Léaument cheminant sur le boulevard Saint-Germain. L’insoumis portait une étrange perruque poudrée par laquelle il espérait ressembler à son idole Maximilien de Robespierre. Branco et Médine renoncèrent à le héler par crainte que le délire du fondu de la Terreur ne vienne polluer leur conversation de haut vol.
Ils virent aussi au loin Sandrine Rousseau sortant subrepticement de la boucherie du quartier, dissimulant avec peine une côte de bœuf dépassant d’un emballage sanguinolent.
Soudain, Juliette Armanet fit une entrée remarquée dans le café de Flore où elle disposait d’une table attitrée en tant qu’artiste officielle de la play-list de France-Inter. Elle était munie d’une paire d’AirPods dernière génération. Ils étaient poussés au maximum et on entendait clairement le refrain endiablé des “Lacs du Connemara” chanté par Michel Sardou.
Louis Boyard, légèrement en sueur et boudiné dans une veste H&M, vint la rejoindre. Il était impossible de savoir si ce rendez-vous était de la pure camaraderie militante ou s’il pourrait un jour déboucher sur une belle histoire d’amour prolétarienne.
C’était un samedi paisible de la mi-août. Branco et Médine, nos deux larrons en foire, se séparèrent non sans avoir échangé une multitude de salutations gracieuses.
Branco regagna son vaste appartement voisin pour peaufiner une nouvelle harangue corsée sur le colonialisme.
Médine se dirigea vers la gare Saint-Lazare où un train le reconduirait au Havre. Il avait, lui aussi, de pain sur la planche : la préparation de ses interventions très attendues aux jamborees d’été des écolos et de LFI. Il serrait contre son cœur la photo dédicacée de Marine Tondelier et celle de Mathilde Panot. Il les aimait avec autant d’ardeur l’une que l’autre.
deuxième épisode — 18 août 2023 — LE COUPLOT SARDOU ET AUTRES MANIGANCES
L’été tirait à sa fin au premier étage du Flore, négligé par les touristes, mais vrai repaire des esprits brillants qui animent l’âme de la France.
Michel Sardou, légèrement éméché en cette fin de matinée, remerciait chaleureusement Juliette Armanet, portant une robe en vichy rose très Barbie, d’avoir relancé les ventes des « Lacs du Connemara ». Leur plan secret avait fonctionné. Juliette qui touchait une commission juteuse sur chaque opération de relance des vieux artistes avait rendez-vous une heure plus tard aux « Deux magots » (juste à côté) avec Enrico Macias pour réitérer le stratagème. Cette fois, l’espiègle Juliette, s’acharnerait à détruire la chanson d’Enrico « les Gens du Nord » en soulignant le racisme anti-ch’ti qui s’en dégage. C’était gagné d’avance. Des manifs étaient déjà prévues à Maubeuge et Hazebrouck.
Tandis que Sardou s’éclipsait en titubant dans le petit escalier en colimaçon menant au rez-de-chaussée, il croisa Sandrine Rousseau, vêtue de probité candide et de lin blanc, qui s’attabla pour finir les mots fléchés de « Végan-magazine ».
Sandrine, pourtant d’ordinaire loquace, ne pipait mot. Elle commanda sèchement au garçon un expresso équitable et un verre d’eau filtrée de la Seine (“Olympic Water”) qu’Anne Hidalgo faisait désormais livrer dans tous les estaminets en vélos-cargos pilotés par une équipe cycliste inclusive. Sandrine semblait préoccupée, non seulement par les mots-fléchés, mais aussi par la chienlit au sein de la Nupes.
Olivier Faure et Jean-Luc Mélenchon ne cessaient de s’invectiver sur “X” (ex-Twitter). Cela risquait de se terminer en un match de catch dans la boue, retransmis chez Hanouna. Une sorte de version française du combat annoncé entre Musk et Zuckerberg. Sandrine, sous sa carapace de militante, avait un petit cœur qui battait très fort. Tant d’animosité intra-nupesque la désolait.
Soudain, une sirène stridente retentit dans tout quartier. C’était une alerte canicule, la première déclenchée par le gouvernement, en fonction du degré d’urgence des indications fournies par le numéro vert mis en place récemment. Les habitants avaient pour consigne de rentrer chez eux et de se terrer dans les caves ou, à défaut, devant leur frigo, porte ouverte.
La panique s’empara de Saint-Germain-des-Près qui pourtant en avait vu d’autres du temps de la splendeur de Juan Branco.
Le Café de Flore se vida instantanément. On baissa le rideau de fer. Sur une table à l’étage, traînait un exemplaire authentique de la Constitution de 1793 qu’Antoine Léaument avait probablement oublié.
troisième épisode — 25 août 2023 — ENCORE DU BEAU MONDE À L’ÉTAGE
Le « dôme de chaleur » s’était éloigné de Saint-Germain-des-Près. Les températures n’étaient plus tropicales et devenaient presqu’automnales. Il régnait une atmosphère studieuse de rentrée des classes en cette fin du mois d’août au premier étage du Café de Flore, le refuge secret des gens qui comptent.
Dans un recoin de la petite salle, Jean-Jacques Goldman collait dans un grand cahier les nombreux articles que la presse lui avait consacré à l’occasion de la parution d’un livre dont il avait feint de désapprouver la parution afin d’entretenir sa solide réputation de loup solitaire.
Dans un autre recoin, se terrait Nicolas Sarkozy, seul et méconnaissable. Pour passer inaperçu, il s’était affublé de lunettes noires et d’une perruque blonde orangée le faisant ressembler à Donald Trump. L’Américain était d’ailleurs en photo à la une d’un journal posé sur la table, la photo d’identité judiciaire prise par un shérif de Géorgie. Donald paraissait boudeur.
Sarkozy, lui, jubilait en lisant un gros livre (sans image). C’était celui qu’il avait signé et dont il ne se lassait pas, tant par la grâce du style que par la richesse du contenu. “Je n’ai rien perdu de ma suprématie”, se disait-il à lui-même en s’approuvant sans réserve.
Un groupe patibulaire de quatre malabars en tenue paramilitaire devisait à très haute voix et en russe sur un crash aérien récent au nord de Moscou. On sentait chez eux peu de chagrin mais beaucoup de colère. Ils avaient décidé par prudence de ne pas assister aux obsèques des chers disparus. Le Kremlin avait offert les billets mais, chat échaudé craint l’eau froide, ils jugeaient un peu périlleux de monter dans un avion affrété par Poutine. Le garçon de service à l’étage du Flore vint leur demander de parler moins fort car ils incommodaient le reste de la clientèle. Ils commandèrent une huitième tournée de vodka.
Un grand barbu fit son apparition et s’assit à la table 12, la plus en vue, en compagnie d’un jeune homme très discret. Ils commandèrent du thé vert, en hommage à Marine Tondelier. Il s’agissait de Médine, chanteur de rap, et de son secrétaire particulier, Nathan Cohen, totalement inconnu du grand public. Médine ne voulait surtout pas que l’on sache qu’il avait un juif dans son entourage. Cela aurait gravement nui à son image. L’antisémitisme, c’était son fond de commerce.
Le buzz commençait d’ailleurs à être vertigineux : après la kermesse des écolos au Havre où il avait été ovationné et celle des Insoumis dans la Drôme, il devait encore se produire chez les cocos à la fête de l’Huma. Et il avait aussi des propositions du NPA et de l’AFSS, l’Amicale des Fidèles de Staline de Stains. Bref, il était devenu en quelques semaines le Sardou de la gauche radicale.
Tout ce petit monde se côtoyait en faisant mine de s’ignorer mais chacun savait que le premier étage du Flore était l’endroit où il fallait se montrer pour être vu.
quatrième épisode — 4 septembre 2023 : LA RENTRÉE
Assis à une petite table à l’étage du Café de Flore, Olivier Faure, le premier et probablement dernier secrétaire du Parti Socialiste, avait encore les yeux rougis de fatigue. Il n’était pas encore remis d’avoir dû veiller l’autre nuit, jusqu’à trois heures du matin, à cause d’un raout présidentiel à Saint-Denis. Il songeait que jamais le général de Gaulle n’aurait imposé une telle épreuve à François Mitterrand. Il sirotait son double expresso avec mélancolie, ce qui était son état naturel.
Olivier Faure avait salué à distance d’un petit geste de la tête une autre cliente du bistrot du gratin germanopratin. Il s’agissait de Ségolène Royal, totalement requinquée par son retour à l’avant-scène de la politicaillerie. Elle s’était auto-propulsée comme une possible tête de liste de la gauche pour les prochaines élections européennes. Cette bravitude n’avait pas enchanté toutes les entités groupusculaires concernées. Mais madame Royale, ancienne ambassadrice des pingouins, avait l’habitude de considérer les icebergs comme des Chabichous. Rien ne l’arrêterait, comme d’habitude.
Dans un autre endroit de la salle, on percevait les échos stridents d’une voix pimentée d’un accent rare en ces lieux, un accent qu’on entend davantage dans les bars à bière servant des frites. C’était un accent belge et c’était la voix de Charline Vanhoenacker, humoriste importée d’outre-Quiévrain. Charline en avait gros sur la patate d’avoir été évincée de son bastion quotidien sur la radio publique et reléguée dans les profondeurs marécageuses de la grille du week-end. “Après tout ce que j’ai fait pour la France !” maugréait-elle. Elle se lamentait auprès de son compatriote et ami Alex Vizorek, lui aussi victime de la purge à Radio-France. Par chance, Alex avait trouvé l’asile radiophonique dans une station d’obédience luxembourgeoise. La solidarité du Benelux n’était pas un mythe.
Aymeric Caron trônait à la table d’à-côté. Il donnait une interview à un stagiaire boutonneux de “Tofu-magazine”. L’entretien portait sur le scandale de l’éradication sauvage des moustiques tigres récemment opérée par les services municipaux dans le 13ème arrondissement. Grand ami de ces insectes injustement décriés, la gorge nouée par l’émotion, Aymeric exprimait sa solidarité envers les familles des victimes. Il en avait connu personnellement certaines et se souvenait de leurs prénoms.
Personne n’avait remarqué dans un recoin près des toilettes un jeune homme joufflu pourtant reconnaissable entre mille : Louis Boyard en personne. Il cochait les pages du catalogue de mode “Abaya glamour”, imprimé en Arabie Saoudite. Il y avait l’embarras du choix pour les couleurs. Mais le style était uniformément très ample. Pour notre Loulou, il n’était pas trop tôt pour passer des commandes et faire des heureuses parmi ses amies à l’occasion de Noël.
cinquième épisode — 18 septembre 2023 — RETOUR DE LA FÊTE DE L’HUMA
Au premier étage du Café de Flore, tout le monde semblait exténué après ce long week-end à la Fête de l’Humanité. Chacun regrettait le bon vieux temps des discours de Georges Marchais quand la kermesse communiste se déroulait encore à La Courneuve.
Pour aller respirer l’odeur du populo, il fallait désormais se propulser sur l’ancienne base aérienne 217 du Plessis-Pâté dans l’Essonne. Plessis-Pâté, c’était pas du gâteau. Les plus malins avaient sournoisement choisi de s’y rendre en Uber plutôt que de se risquer dans un très erratique RER et dans les improbables navettes à saisir à Brétigny. Beaucoup de belles consciences de gauche fréquentant Le Flore n’avaient vu le RER que dans les reportages sur les grèves de Sud-Rail et connaissaient mieux Ibiza que Brétigny.
Au Flore, au lendemain de la bataille du Plessis-Pâté, la plus rayonnante était Sandrine Rousseau. Elle avait tapé l’incruste à une table-ronde chez les cocos et avait lancé cette formule désormais historique destinée au leader du PCF Fabien Roussel : “Non, Fabien, tu ne gagneras pas avec un steak !”. Une façon pour l’éco-féministe végane de vouer aux gémonies cet incorrigible thuriféraire de la bidoche qui se pavane un couteau entre les dents, viandard sanguinaire rôdant dans les barbecues. Sandrine avait cloué au pilori la barbaque du chef coco et, à présent, assise au premier étage du Flore, elle trempait une tartine de pain complet dans une tisane bio de fenouil et de décoction d’ortie. C’était le secret de son tempérament affable.
A une table voisine, mais hors de portée du regard de madame Rousseau, Cyril Hanouna, entouré de trois assistants dévoués, refaisait les calculs des audiences de son émission TPMP depuis la rentrée. L’animateur de 48 ans, vêtu d’un sweat à capuche vert pomme, se frottait les mains : avec son émission, il “cartonnait” sur les cibles publicitaires principales, notamment sur les analphabètes de moins de 50 ans roulant au diesel. L’introduction de Ségolène Royal dans le cheptel hétéroclite des chroniqueurs avait ajouté une note cocasse à l’ensemble. La saison s’annonçait “darka”, selon le lexique des fanzouzes vénérant Baba, autrement dit “vachement bath”, en français familier du siècle précédent.
Grimpant d’un pas alerte l’escalier en colimaçon menant à l’étage du Flore, Édouard Philippe fit une entrée remarquée dans la petite salle. Le maire du Havre portait un survêtement bleu turquoise. Il était légèrement en sueur, émergeant d’un entraînement de boxe dans une salle du quartier. L’ancien premier ministre commanda un citron pressé et se mit à consulter la revue de presse préparée par ses collaborateurs. Il y était surtout question des retombées de la publication toute fraîche de son dernier livre : “Des lieux qui disent” (JC Lattès, 266 pages, 21,90€). Les réactions étaient dans l’ensemble positives même si Édouard s’agaçait de voir que les commentateurs semblaient s’intéresser davantage à la barbe qu’il avait rasée qu’à sa prose. Ce bouquin méditatif et intime ajoutait une marche à l’escalier grimpant vers l’Élysée.
Le microcosme du premier étage du Café de Flore s’affairait ce matin-là dans ce joli cocon de Saint-Germain-des-Près. Chacun s’interrogeait sur la date et lieu de l’enterrement de la Nupes et se demandait s’il serait convié à cet événement mondain du début d’automne.
sixième épisode — 21 septembre 2023. — CHARLOTTE, TONIO ET BHL
Au premier étage du Café de Flore, Charlotte Gainsbourg, de noir vêtue comme il sied à la Mater Dolorosa du gainsbourisme et du birkinisme, se frottait les mains intérieurement, si l’on ose utiliser ici cette expression imagée.
Les premiers jours de l’exploitation du musée cénotaphe du paternel avaient pulvérisé toutes les espérances. On se bousculait rue de Verneuil dans la maison aux murs badigeonnés de noir. On traversait avec délice le salon où Serge se bourrait la gueule.
Charlotte avait eu l’idée de laisser traîner des cendriers plein de vieux mégots, laissant croire qu’il s’agissait d’authentiques mégots du chanteur mal rasé et trépassé. Il fallait remplacer les mégots plusieurs fois par jour car les visiteurs les emportaient. Des clochards du quartier étaient chargés, contre rémunération, de collecter dans la rue des bouts de cigarettes abandonnés. Hélas, on ne trouvait plus beaucoup de vestiges de Gitane, la clope fétiche de Serge.
La boutique librairie-souvenirs adjacente faisait un carton : on y vendait comme des petits pains des colifichets made in China à l’effigie du créateur de la Javanaise. Bref, Charlotte n’était plus aux fraises. Elle reprenait du poil de la bête car elle sentait que la petite entreprise familiale, quoique morbide, serait florissante pour un bout de temps.
Un qui n’allait pas bien du tout, c’était Antoine Léaument. Il s’agrippait à sa table devant une infusion, le bonnet phrygien de traviole et un gros bouton de fièvre à la commissure des lèvres.
Il venait de vivre des journées très pénibles à l’occasion la funeste visite du roi Charles III en France. Antoine était un garçon sensible. Il avait le robespierrisme à fleur de peau et ce n’était pas une fleur de lys. Il avait frémi en entendant des Parisiens crier en français « Vive le Roi ! » sur le passage du souverain britannique. Et puis le monarque accueilli à Versailles dans de la porcelaine de Sèvres par l’usurpateur Macron qui avait ravi le trône de France à Méluche 1er, c’était trop de tourments pour Tonio, le sans-culottes.
Il allait bientôt falloir aussi endurer les bondieuseries papales à Marseille en fin de semaine ! Antoine repoussa la tasse de tisane et commanda un double cognac qu’il liquida cul-sec. L’alcoolisme menaçait sérieusement les derniers grognards du mélenchonisme.
Pour compléter le tableau de cette fin de matinée relativement paisible à l’étage du Flore, on remarquait à peine, assis à la table discrète derrière l’escalier, un Bernard-Henri Lévy livide, vêtu d’une vareuse gris souris en alpaga tout-terrain.
C’était un habitué des lieux. Il y possédait plusieurs ronds de serviette. Il consultait nerveusement une fiche horaire en alphabet cyrillique de la compagnie Aeroflot. Il pestait de n’y trouver aucune correspondance pour la région du Haut-Karabakh, actuellement ravagée par un conflit inextricable.
BHL avait prévu d’y projeter prochainement son auguste personne accompagnée de son indignation légendaire. Mais rien ne collait dans les liaisons aériennes. Ces conflits avaient la fâcheuse habitude d’éclater dans des trous perdus mal desservis par la classe affaires.
Bernard-Henri allait-il se résoudre à changer d’épaule son fusil pacificateur ? Finalement, un colloque à La Sorbonne avec buffet dînatoire aurait autant d’impact et lui permettrait de dormir ensuite à la maison sur son matelas en plumes d’oie. A 74 ans, le baroudeur infatigable se laisserait-il gagner par l’esprit casanier ? C’est à ces petits signes qu’on mesure le mieux le passage du temps.
Septième épisode – 26 septembre 2023 – VERSAILLES, IMMOBILIER ET SEMI-RETRAITE
Au premier étage du Café de Flore où il a ses habitudes comme Jean-Paul Sartre avait les siennes au rez-de-chaussée, Aymeric Caron affichait la mine chiffonnée des mauvais jours.
La scolarisation de sa fille unique Nyna, 5 ans, dans une maternelle de Versailles avait entaché son image immaculée de gauche. Il s’était en outre fait remarquer à plusieurs reprises dans l’école en forçant la grille d’entrée pour déposer la gamine régulièrement en retard.
Aymeric, défenseur des mamans moustiques contraintes de piquer pour nourrir leur marmaille, se retrouvait dans l’embarras pour avoir accompli avec fracas son devoir paternel. Le problème, c’est qu’on avait découvert au passage qu’Aymeric était plus souvent dans les Yvelines bourgeoises qu’auprès des électeurs de sa circonscription populaire dans le 18ème arrondissement de Paris, 25 kilomètres au Nord-est.
On avait rangé Caron parmi les Communards. Patatra, il était Versaillais ! Tenant entre ses mains sa lourde tête surmontée d’une tignasse joliment peignée, Aymeric réfléchissait devant la tasse d’un double déca. Il prenait soin de ne pas amplifier son énervement avec un excès de caféine.
Trois tables plus loin, un autre homme semblait tout aussi préoccupé. Tout son vocabulaire habituel se révélait soudain inefficace. Pour défendre sa cause, les expressions : « grande hauteur sous plafond », « très beau volume », « joli potentiel », « pas de vis à vis », tout cela était inutile et déplacé.
Le roi médiatique de l’immobilier, Stéphane Plaza, tentait de sauver les meubles afin de ne pas laisser la clé sous la porte. Plaza avait du mètre carré sous la semelle mais il se voyait soudain accusé d’avoir piétiné physiquement et verbalement plusieurs femmes. On peut frapper une cloison pour l’abattre afin d’agrandir une chambre mais pas un être humain. L’employeur principal de Stéphane, la chaîne M6, l’avait mis en sursis en maintenant du bout des lèvres les émissions programmées à court terme.
Plaza s’inquiétait davantage pour la chaîne d’agences immobilières portant son nom dans toute la France. Pas moins de 660 enseignes. La hausse des taux d’intérêt avait déjà refroidi le marché. Cette fâcheuse affaire de violence domestique n’allait rien arranger. Stéphane Plaza descendit l’escalier en colimaçon du Flore et s’éclipsa sans remarquer la mine réjouie d’un autre client du café, entouré d’une petite cour d’admirateurs papillonnants.
Il s’agissait de Laurent Ruquier, tressautant de son petit rire contenu. Il savourait les assez bons résultats d’audience, la veille au soir, de sa première émission sur BFMTV. Ruquier avait fui le service public où il avait trôné pendant tant d’années dans les cases horaires les plus exposées.
Il se réjouissait de se retrouver à présent, modestement, sur BFMTV à 20h, du lundi au jeudi, pour ricaner et bavasser sur l’actualité en compagnie d’une petite bande improbable de chroniqueurs interchangeables. Ça ne mangeait pas de pain mais ça nourrissait son homme.
La soixantaine atteinte, cela ressemblait à une semi-retraite. Tout le monde n’avait pas l’ambition de s’accrocher indéfiniment à la balustrade comme Michel Drucker. Au premier étage du Café de Flore, la petite cour de Laurent congratulait le maître. Cette convivialité piaillante ne masquait pas totalement la mélancolie accompagnant le repli. Par la fenêtre, on voyait passer les voitures sur le boulevard Saint-Germain qui était celui du crépuscule.
huitième épisode – 30 septembre 2023 – LE BOUQUIN, CHIKIROU ET LA PUNAISE
Au premier étage du Café de Flore, à la table d’angle, la plus en vue, la plus prisée par les célébrités, deux petits hommes insignifiants et totalement inconnus se congratulaient. Ils vivaient le meilleur automne de leur vie. L’objet de leur satisfaction pesait 450 grammes et était vendu 20 euros. Au kilo, c’était le prix d’un bon filet de bœuf. Mais il s’agissait d’un livre de 358 pages signé Jean-Luc Mélenchon et bizarrement intitulé “Faites mieux”.
Les deux hommes réjouis par cet ouvrage étaient respectivement Didier Bouchard, directeur financier des éditions Robert Laffont et Cédric Lepetit, sous-directeur des ventes du site Amazon pour la France. Le bouquin du chef insoumis se vendait comme des petits pains, tout particulièrement sur Amazon, cette multinationale américaine particulièrement répugnante qui exploitait des esclaves dans des hangars et qui poussait au suicide les petits libraires.
Mais l’argent n’a pas d’odeur. L’affaire était d’autant plus juteuse pour l’éditeur et son diffuseur que la lecture du pensum mélenchonien était obligatoire pour les affidés du parti. Il était même fortement conseillé de se faire photographier en train de lire le livre.
La direction de la France Insoumise avait promis aux personnes photographiées en possession du bouquin une place peinarde de fonctionnaire dans la nouvelle administration du président Mélenchon qui, cette fois c’était certain, serait élu à l’Élysée en 2027. Les photos de lecteurs ébahis et captivés pullulaient sur les réseaux sociaux. Cela produisait un effet boule de neige très favorable aux ventes. Nos deux compères, le représentant de l’éditeur et celui du marchand en ligne, se délectaient de ce stratagème. Ils reprirent une coupe de champagne.
Moins joyeuse et même renfrognée, Sophia Chikirou se morfondait devant un café-crème. La députée insoumise d’une circonscription du nord-est parisien était venue cacher son désarroi dans le repaire germanopratin de l’intelligentsia rive gauche. Le reportage que lui consacrait « Complément d’enquête » sur la télé publique était accablant.
Elle regrettait amèrement d’avoir écrit dans un SMS désormais connu de tous : « cette bande de tafioles de merde ». D’abord parce que les tafioles ne se déplacent pas forcément en bande. Et aussi parce que toutes les tafioles ne sont pas toutes merdiques. Elle échafaudait une stratégie de communication pour se sortir de ce mauvais pas. Peut-être un char à la prochaine Gay Pride avec son compagnon Mélenchon en drag-queen ?
Et puis soudain, dans la petite bulle feutrée du premier étage du Café de Flore, le monde bascula. André, le garçon préposé dans cette partie de l’établissement depuis 34 ans, vit courir sur une banquette en cuir un insecte menaçant et déterminé. Horreur absolue, c’était bien une punaise de lit ! Les bestioles étaient en train d’envahir Paris, à tel point qu’on envisageait de reporter les Jeux Olympiques de 2024.
André invita aimablement les clients du premier étage à évacuer les lieux. Ce fut une belle bousculade dans l’escalier en colimaçon. Le premier étage était vide désormais.
Protégés par des masques, des gants et des combinaisons intégrales, quelques membres volontaires du personnel du Flore partirent à la chasse à la punaise. On ne la trouva point. André, sûr de son fait, commençait à s’impatienter. Et puis on vit apparaître sur le coin d’une table une petite bébête, un insecte minuscule mais sympathique et familier. C’était une coccinelle.
André avait une mauvaise vue. On lui disait souvent de changer de lunettes. Un jour, il avait confondu Arielle Dombasle et Sophie Marceau, deux clientes fidèles du Flore. André s’excusa platement. Le premier étage fut rouvert à la clientèle. La coccinelle fut recueillie et déposée au pied d’un arbre du boulevard Saint-Germain, luxuriant grâce à la jardinière Hidalgo.
neuvième épisode — 27 octobre 2023 : LES CARTES POSTALES DE LA DAME PIPI
Ça ne bousculait pas ce jour-là au premier étage du Café de Flore. Mélancolie automnale ? Actualité pesante ?
Une seule personne jubilait : madame Sonia, la préposée aux toilettes, dans son cagibi à gauche de l’escalier en colimaçon qui permettait d’accéder au premier étage où elle trônait. Madame Sonia recevait parfois du courrier des clients réguliers de l’établissement.
Et ce matin, elle avait été ravie de recevoir une belle carte postale de Tahiti avec un joli timbre de la Polynésie française. L’expéditrice n’était autre qu’Anne Hidalgo, maire de Paris, embarquée dans un voyage au long cours dont personne ne voyait l’issue. Partie du Bénin, on avait aperçu ensuite l’édile en Nouvelle Calédonie puis dans l’archipel polynésien.
Sur la carte envoyée à madame Sonia, Anne Hidalgo écrivait notamment : “Je suis venue ici à Tahiti pour inspecter la vague de surf de Teahupo’o qui servira à mes jeux olympiques de Paris puisque les vagues de la Seine ont été injustement jugées insuffisantes par le comité olympique. La vague est tahitienne convenable. Je suis soulagée. Il faut vraiment que je fasse tout le sale boulot. Je dois prolonger mon séjour car plusieurs inspections complémentaires de la vague seront nécessaires. J’espère que tout se passe bien à Paris et qu’Emmanuel Grégoire ne fait pas trop de bêtises en mon absence. Je vous embrasse très fort, chère Sonia. Anne.”
Madame Sonia épingla la carte tahitienne dans un recoin de son petit local et remercia Enrico Macias qui venait de déposer 50 centimes dans la soucoupe après avoir pissé dans l’équipement en faïence blanche prévu à cet effet.
Enrico, assez morose, était allé se rasseoir à sa place. Il avait commandé une Suze et pensait bien s’en faire servir une deuxième très vite. Le chanteur de 84 ans s’en voulait encore de s’être emporté il y a quelques semaines dans l’émission de Pascal Praud sur CNEWS en souhaitant « dégommer physiquement » la France Insoumise. Jean-Luc Mélenchon avait peu apprécié la suggestion dégommante du créateur immortel de “Poï, poï, poï”. Il l’avait fait savoir vertement à l’intéressé sur les réseaux sociaux. Ironie de l’histoire, Macias avait été finalement visionnaire en souhaitant le dégommage de LFI car il était justement en train de se produire. Pas physiquement, mais politiquement. La mouvance mélenchoniste sombrait dans des chamailleries internes et ses partenaires de la Nupes étaient en train de prendre le large, le plus loin possible du gourou vociférant. Enrico, qui n’avait jamais fait de mal à une seule mouche pendant toute sa longue vie, n’osait se réjouir publiquement du naufrage de la barcasse insoumise. Mais, intérieurement, il savourait. La deuxième Suze arriva à point nommé.
Dans son coin toilettes, madame Sonia, par prudence, n’épingla pas une autre carte postale également reçue ce matin. Cette deuxième carte venait de la République démocratique du Congo. Elle était justement signée Jean-Luc Mélenchon, celui qu’Enrico voulait “dégommer”. Le gourou vieillissant de LFI était en voyage en Afrique où les dirigeants de la RDC lui offraient les honneurs d’un chef d’Etat qu’il n’avait jamais réussi à devenir et qu’il ne serait jamais. C’était un peu de réconfort pour l’ancien ministre délégué à la formation professionnelle qui arpentait avec délectation les tapis rouges congolais déroulés sous ses pieds.
On pourrait s’étonner de la proximité entre madame Sonia et le phare de la pensée occidentale, Jean-Luc Mélenchon. Madame Sonia était née à Massy et y avait toujours vécu. Dans les années 90, Mélenchon commença sa fulgurante ascension politique comme adjoint au maire de cette commune de l’Essonne. Que s’était-il passé exactement à l’époque entre Jean-Luc et Sonia ? On ne le saura jamais. La très jalouse Sophia Chikirou avait effacé toutes les preuves, y compris une sextape particulièrement affriolante.
(à suivre…)