Dallas, les Rolling Stones, le mur de Berlin et moi

Jérôme Godefroy
4 min readJun 9, 2019

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Le mur de Berlin (côté ouest) en 1986.

Le trentième anniversaire de la chute du mur de Berlin, très présent dans les médias du monde entier en cette fin d’automne 2019, me remémore un épisode assez incongru de mes années journalistiques américaines. Pour moi, l’effondrement du bloc communiste reste étrangement relié au Texas et aux Rolling Stones.

Au cours de l’été 1989, je suis nommé correspondant aux Etats-Unis, basé à Washington, pour la radio RTL. Début novembre 1989, je suis envoyé pour une mission plutôt plaisante et facile : accompagner à Dallas une dizaine d’auditeurs de RTL venus de France. Ils avaient gagné un voyage offert par la station pour assister à un concert de Rolling Stones dans le stade Cotton Bowl de la grande ville texane. Le concert était le 10 novembre. Il s’agissait de faire un petit reportage sympathique sur la joie des auditeurs ravis d’être à Dallas pour ce concert. Pas de quoi décrocher le prix Pulitzer ou le prix Albert Londres, mais c’était un déplacement agréable pour tout le monde.

Le 9 novembre dans l’après-midi, je prends l’avion à Washington en direction de Dallas. Avant de décoller, par acquit de conscience, j’appelle la rédaction de RTL à Paris. A cette époque, pas d’internet, pas de smartphone. Je voulais juste savoir s’il n’y avait rien de particulier dans l’actualité. A l’autre bout du fil à Paris, le rédacteur en chef du soir (avec le décalage horaire) a l’air plutôt agité. Il me dit : « Le mur de Berlin est en train de tomber ».

Je manque totalement de réflexe journalistique. Je suis dans l’état d’esprit de quelqu’un qui va faire un reportage plaisant autour d’un concert de rock. Pas du tout envie que mes petites affaires soient dérangées par le grand vent de l’Histoire. Je dis : « ah bon ? ». Le rédacteur en chef à Paris (qui a l’air pressé) me dit furtivement : « tu crois qu’il y aura des réactions américaines ? ». Moi, je pense aux Rolling Stones, pas à la géopolitique. Et je réponds : «Des réactions américaines ? Je ne sais pas. »

Quelle réponse idiote ! L’effondrement du bloc communiste, le rideau de fer transpercé, la fin de la guerre froide… Bien sûr qu’il va y avoir des tonnes de réactions américaines ! Mais moi, je veux monter dans mon avion pour Dallas. Je raccroche. Pendant le vol, je suis quand même pris de quelques doutes. La chute du mur de Berlin ? Il voulait dire LE MUR, pas la simple chute d’un quelconque muret en Allemagne ? J’arrive à Dallas, j’allume la télé à l’hôtel. Tom Brokaw de NBC était le seul journaliste américain présent, en direct, au pied du mur. Il avait vu le coup venir (beaucoup mieux que moi). Là, je prends conscience de l’étendue de la nouvelle. C’est tout un pan de l’Histoire du XXème siècle qui bascule, tout simplement. Je vais avoir l’air malin avec mon petit reportage sur les Rolling Stones à Dallas !

Le président George Bush (père)

Mais, en journalisme, le talent, c’est d’avoir de la chance. Ce jour-là, tout à fait par hasard, le président des Etats-Unis, George Bush (le père), était lui aussi à Dallas. La famille Bush a beaucoup d’attaches au Texas. Le président était donc chez lui. Et c’est de Dallas qu’il a immédiatement commenté l’événement considérable qui se déroulait en Allemagne. J’ai donc pu fournir les réactions américaines au plus haut niveau. Par un extraordinaire concours de circonstances, j’étais même le seul journaliste français présent à Dallas avec le président américain pour recueillir ses commentaires très attendus.

Bush père avait été chef de la CIA et surtout vice-président de Ronald Reagan qui dans un discours fameux à Berlin avait enjoint Gorbatchev d’abattre le mur érigé par les communistes (“Mister Gorbachev, open this gate. Mister Gorbachev, tear down this wall”. Discours de Ronald Reagan devant le mur de Berlin, le 12 juin 1987). Bush était prudent dans ses analyses de la situation en Allemagne, les nouvelles étaient encore confuses, mais pour les officiels américains, c’était un moment crucial.

Les Stones à Dallas en novembre 1989

Le lendemain, dans la journée du 10 novembre, la rédaction de RTL n’avait plus vraiment besoin de réactions américaines. Tout de passait à Berlin. L’événement était historique. J’ai donc eu beaucoup de temps libre. J’ai retrouvé le groupe des auditeurs de la station qui avaient gagné le voyage au Texas. Nous avons visité ensemble le ranch de JR, lieu du tournage du fameux feuilleton “Dallas”. L’événement le plus important de la fin du XXème siècle était en cours et je faisais du tourisme…

Le soir du 10 novembre, je suis allé au concert des Rolling Stones avec les auditeurs. Nous étions très bien placés, au pied de la scène. Mick Jagger était en grande forme.

J’ai envoyé mon reportage sur ce concert. Il n’a jamais été diffusé. La chute des pierres du mur de Berlin faisait beaucoup plus de bruit en Europe que d’autres pierres roulantes, les Rolling Stones à Dallas.

Jérôme Godefroy (Dallas, Texas. Juin 2019 — mise à jour en novembre 2019)

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Written by Jérôme Godefroy

Ancien speaker à la TSF. Né sous Vincent Auriol.

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