Etats-Unis : les criminels solitaires et méticuleux
Les assassins aux Etats-Unis ont toujours une longueur d’avance sur les scénarios les plus déjantés d’Hollywood. La fusillade de Las Vegas fournit un nouvel exemple de la démesure criminelle américaine. Pour réussir leur funeste entreprise, ces tueurs solitaires ont un secret : ils sont méthodiques et pointilleux.
La tour d’Austin
Le 1er août 1966, Charles Withman, 25 ans, grimpe les 30 étages de la tour qui domine le campus de l’université d’Austin au Texas. Le bâtiment culmine à 94 mètres. Withman, ancien scout, ancien étudiant de cet université mais aussi ancien tireur d’élite des Marines, est lourdement armé : une dizaine d’armes à feu de tous les calibres. Il transporte aussi avec lui un casse-croute, un transistor et des affaires de toilettes. Il a même prévu le déodorant. L’été, il fait chaud au Texas.
Avec de monter dans la tour, dans la nuit, il a assassiné sa mère et sa femme afin qu’elles ne soient pas peinées par son projet criminel, explique-t-il dans des notes qu’il laisse près des cadavres. A la mi-journée, Withman commence à tirer. La fusillade durera 96 minutes. Il tue 14 personnes et en blesse une trentaine. Le campus est dans le centre de la ville et des passants des rues commerçantes figurent parmi les victimes.
Finalement, la police prend d’assaut la tour et Withman est abattu. L’autopsie révèlera que le tireur était atteint d’une tumeur au cerveau. On lui connaissait des troubles comportementaux violents. La tumeur explique peut-être cet état très instable. On cherche toujours à expliquer l’inexplicable.
Bombes par correspondance
Théodore Kaszynski a aujourd’hui 75 ans. Il est enfermé depuis une vingtaine d’années dans une prison de haute sécurité dans le Colorado. Au cours de son procès, il a tenté en vain de plaider la folie. Il a été condamné à perpétuité. Kaszynski est un être supérieurement intelligent mais supérieurement dangereux. Titulaire d’un doctorat de mathématiques, ancien professeur de cette discipline à l’université de Berkeley en Californie, il a vécu une bonne partie de sa vie retranché dans une cabine sans confort dans les forêts du Montana.
Ermite, Kaszynski est un ennemi farouche de la technologie et du progrès. Survivaliste délirant, il a écrit des volumes entiers de diatribes contre la société contemporaine. Et il est passé à l’action, d’une étrange manière : par correspondance. Sur une période de 18 années, il a expédié 16 bombes qui ont fait 3 morts et une vingtaine de blessés. Les colis étaient accompagnés de missives vengeresses. Les cibles étaient des sociétés ou des administrations ayant un lien avec le développement technologique ou la recherche.
Le FBI le traquait sans relâche, sans résultat. La police fédérale ignorait tout de lui. Elle lui avait donné un surnom : Unabomber. Una, car son passé universitaire paraissait évident dans ses messages anonymes et revendication. Un jour, Kaszynski a exigé, sous peine de représailles sanglantes, que la presse publie sans en couper une ligne son « manifeste » : une soixantaine de pages chargées de bile contre le consumérisme, la technologie et, accessoirement, contre les « gauchistes ». Le ministère de la Justice, craignant un carnage, a demandé à la presse de publier ce galimatias qui fut imprimé intégralement dans les colonnes du New York Times et du Washington Post.
Un fac similé de l’écriture de ce personnage mystérieux avait aussi été publié dans les journaux. Le frère de Kaszynski a reconnu l’écriture de Théodore et a mis le FBI sur la voie d’une possible cachette. Elle fut prise d’assaut avec une infinie prudence : on ne sait jamais si un fabricant de bombes n’a pas disposé des explosifs autour de son antre pour se protéger. Hagard et hirsute, Kaszynski a été appréhendé.
Ce mathématicien maléfique a fortement influencé un autre personnage redoutablement intelligent : le Norvégien Anders Behring Breivik qui a tué 77 personnes en 2011, avec des bombes à Oslo et par une fusillade sur une île. Breivik a aussi écrit un long manifeste dont des passages entiers sont empruntés à la profession de foi de Kaszynski.
La cannibale de Milwaukee
Le parcours de Jeffrey Dahmer sort également de l’ordinaire. Alcoolique dès l’adolescence et homosexuel refoulé, cet homme du Wisconsin a été surnommé «le cannibale de Milwaukee». Il était employé 9 dollars de l’heure dans une chocolaterie de cette ville. Dans la catégorie tueur en série, il a largement innové. Son unique spécialité : les jeunes gens, très souvent mineurs. Il les attirait pour des faveurs sexuelles. Ensuite, Dahmer tuait et démembrait ses victimes. Il pratiquait régulièrement la nécrophilie et parfois le cannibalisme. Il a été trahi par les odeurs se dégageant de son appartement.
Quand la police a enfoncé sa porte, elle a découvert une grande quantité de restes humains, des torses découpés et des squelettes, bien rangés dans les armoires, de la chair humaine dans le réfrigérateur et même un cœur dans le congélateur. Sur une période s’étalant sur quatre années seulement, entre 1987 et 1991, Dahmer a ainsi tué 17 garçons à qui il a fait subir post-mortem les pires atrocités.
Il a été condamné à 957 ans de prison (l’équivalent théorique de 17 fois la perpétuité). Pas de peine de mort, car le Wisconsin est l’un des premiers états américains à avoir aboli le châtiment suprême dès le milieu du 19ème siècle. Mais Dahmer a quand même été exécuté. Il est mort en prison à 34 ans, battu à mort par des co-détenus.
Le retraité flingueur
On finira par en savoir plus sur Stephen Paddock, le tireur de Las Vegas. Retraité de 64 ans, il vivait confortablement de ses rentes après avoir exercé beaucoup de métiers : facteur, employé du fisc puis du fabricant d’aéronautique Lockheed Martin, agent immobilier. Récemment, il était devenu un joueur invétéré, en ligne sur ses ordinateurs et dans les casinos. Il jouait gros et gagnait souvent. Son train de vie, sans être éclatant, n’était pas modeste : il possédait deux avions.
Que s’est-il passé dans sa tête pour qu’il se mette à organiser méticuleusement la pire fusillade de masse de l’histoire des Etats-Unis ? Paddock possédait une quarantaine d’armes à feu, des gros calibres. Il s’installe pendant quelques jours dans une vaste suite, au 32ème étage d’un hôtel de Las Vegas. Il prépare son acte : il fait plusieurs allées et venues avec des valises sans éveiller les soupçons. Dix valises ! Et il réunit 23 armes redoutables, certaines munies d’un dispositif qui permet d’accélérer la vitesse de déclenchement, jusqu’à 9 balles à la seconde.
Il a tiré une dizaine de minutes, tuant 58 personnes qui assistaient à un concert de musique country au pied de l’hôtel. Il y a plusieurs centaines de blessés. Paddock ne pourra jamais s’expliquer. Il avait placé des caméras dans les couloirs pour guetter l’arrivée de la police. Il s’est donné la mort avant d’être arrêté.
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Whitman, Kaszynski, Dahmer, Paddock. Quatre itinéraires bien différents conduisant à des carnages, pas toujours avec des armes à feu. Un seul point commun troublant : la méticulosité presque maniaque de ces êtres solitaires dans la préparation et la réalisation de leurs crimes. Difficile toutefois de tirer des conclusions. Il n’y a pas de morale à ces histoires. Car le cap de la morale est à chaque fois tragiquement dépassé.
Jérôme Godefroy (Octobre 2017)