Europe 1 : nous nous sommes tant aimés

Jérôme Godefroy
5 min readJun 11, 2018

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La rédaction d’Europe 1, rue François 1er, en juin 2018

Les rêves nous transportent parfois dans des lieux visités autrefois, des paysages de notre passé. Samedi 9 juin, j’ai vécu un rêve éveillé en revenant dans les locaux d’Europe 1 où je n’étais pas retourné depuis mon départ de cette station en juillet 1986, il y a 32 ans.

C’était à l’occasion d’une fête réservée aux anciens de la station avant son déménagement prochain dans le XVème arrondissement. Les radios déménagent. RTL, naguère voisine de l’autre côté de l’avenue Montaigne, a déjà quitté la rue Bayard pour aller s’exiler à Neuilly dans l’orbite de son nouveau propriétaire, la télé M6.

Revoir la rédaction d’Europe 1, c’était revenir au point de départ de ma vie professionnelle, période heureuse, celle de la jeunesse et des ambitions. J’avais découvert l’endroit dès 1976 lorsque, étudiant au CFJ (l’école de journalisme de la rue du Louvre), je venais régulièrement tenir le standard du légendaire « téléphone rouge » de la station, ce système d’alerte qui permettait aux auditeurs de signaler une information que l’étudiant préposé était chargé de vérifier afin, le cas échéant, de la transmettre aux journalistes. Twitter n’était pas né ! J’avais aussi pendant quelques mois rédigé, le matin très tôt, une revue de presse des journaux anglo-saxons à destination de la rédaction en chef d’Europe 1. J’arrivais à 4 heures après avoir acheté la presse britannique et le Herald Tribune dans un kiosque des Champs-Elysées et je me mettais à l’ouvrage, alors que se préparaient les journaux de la matinale.

A mes débuts à Europe 1

Deux ans plus tard, en mai 1978, j’étais donc en terrain connu lorsque j’ai passé les épreuves de la bourse Lauga, un concours ouvert aux étudiants des écoles de journalisme. J’ai été choisi. Au bout d’un stage de deux mois, je devenais à 25 ans journaliste en CDI à Europe 1 ! Tout est allé très vite. Philippe Gildas qui animait la matinale m’a propulsé un an plus tard à la présentation du journal de 7 heures, le plus écouté de France. C’était de la folie. Heureusement qu’il était là pour me soutenir et très souvent pour m’engueuler.

Les audiences, comme encore aujourd’hui, se mesurent par quart d’heure. Celui de mon journal de 7 heures réunissait à l’époque 8 millions d’auditeurs. Inimaginable à présent puisque le meilleur quart d’heure, celui du journal de 8 heures sur France-Inter, ne rassemble plus actuellement que 2 millions d’auditeurs.

Travailler à Europe 1 à cette époque, c’était grisant et stimulant. Il y avait tant de talents partout. En s’y frottant, on y gagnait toujours. Je me souviens de Coluche venant le main recueillir avec un petit dictaphone les informations croustillantes et cocasses que nous lui soumettions et qu’il utilisait dans son émission de l’après-midi.

Je me souviens d’André Arnaud, grand voix de la station, toujours en basket, ce qui était rare pour un homme de son âge à l’époque. Rédiger une « brève » pour le journal d’André Arnaud à 13 heures était un exercice périlleux. Il détestait le mot « problème ». Il avait raison.

Avec Alain Duhamel (à droite) et Françoise Braizulier, la secrétaire à qui je dictais mon journal. Pas d’ordinateur, une machine à écrire.

J’ai travaillé avec Pierre Lescure qui avait une écriture cisellée, fort économe en mots et en adjectifs. Albert Simon, avec sa voix de grenouille, faisait la météo. Guillaume Durand venait avec son sac de sport d’où dépassaient des raquettes de tennis. Alain Duhamel arrivait en solex.

Mes complices de l’époque étaient Jean-François Rabilloud, Benoit Laporte, Michel Grossiord, Robert Marcellin et quelques autres. Les femmes étaient rares. La rédaction était masculine et très macho. Claire Chazal avait fait un stage. Des années plus tard, elle me rappelait ce bref passage à Europe 1. Je la plaignais en lui disant : « Tu as dû souffrir, l’ambiance était tellement misogyne à l’époque ! ». « Oui, m’a-t-elle répondu, et tu n’étais pas le dernier… »

Je me souviens du giscardisme aigu de la station avant 1981 et du basculement à gauche après l’élection de Mitterrand. Je me souviens de l’arrivée discrète de Jean-Pierre Elkabbach, chassé avec fracas de la télévision par la gauche, et qui avait décroché une émission d’abord confidentielle, dans le creux de l’après-midi, sur Europe 1. Quelques années plus tard, il dirigeait la station et revenait en pleine lumière.

En 1981, le gouvernement de Pierre Mauroy comptait quatre ministres communistes. Le PCF se sentait pousser des ailes. Pierre Juquin, membre du comité central en charge des médias, avait fait le tour des rédactions audio-visuelles pour imposer un journaliste communiste. C’est ainsi qu’Europe 1, sous la contrainte, avait embauché le jeune Rémy Fontaine, tout juste sorti de l’ESJ Lille et dûment encarté communiste. Une telle pression paraît inimaginable aujourd’hui, surtout dans une radio privée. Il faut dire qu’à la fin du mandat de Giscard, il nous avait été interdit pendant de longues semaines de parler sur Europe 1 de « l’affaire des diamants » révélée par le Canard Enchaîné…

Ce sont tous ces souvenirs qui me sont revenus en arpentant il y a quelques jours ces locaux mythiques de la rue François 1er, en compagnie d’Ivan Levaï (autre légende à sa manière), Patrice Louis (le plus proustien de nous tous), Patrice Belin (septuagénaire à la forme insolente), Jean-Yves Boulain (le roi du «bocal»), Philippe Gault (le plus beau de nous tous, très largement) et mon vieux copain Benoit Laporte qui fut aussi mon collègue correspondant aux Etats-Unis dans les années 90.

Europe 1 ne va pas bien. Trop de changements, trop d’hésitations ont découragé les auditeurs. Je souhaite sincèrement que la nouvelle équipe (Laurent Guimier et le très fûté Guy Birenbaum) réussisse à redonner des couleurs et de la vie à cette radio qui a tant compté pour moi et des millions de Français.

Jérôme Godefroy (juin 2018)

Le 9 juin 2018, les anciens d’Europe 1 sont conviés pour dire adieu aux locaux historiques de la rue François 1er. Le nouveau patron Laurent Guimier est au centre debout devant la barrière. Je suis le septième en partant de la droite juste derrière la barrière. A ma gauche, Benoît Laporte et Sylvain Attal. Sur la façade les portraits de Patrick Cohen et Daphné Bürki qui disparaitront de la grille de septembre 2018. (photo service de communication Europe 1)

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