Gilets jaunes : in memoriam

Jérôme Godefroy
4 min readFeb 11, 2019

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Le coup de génie dans cette histoire de “gilets jaunes”, c’est le gilet jaune lui-même : un accessoire vestimentaire bon marché, largement disponible et très voyant, uniforme criard d’une colère sourde et rustaude, la chasuble fluo des nouveaux sans-culottes.

Par rapport au lugubre et sempiternel défilé des cégétistes vêtus de sombres hardes achetées chez Primark ou C&A, un chatoyant monôme de gilets jaunes, ça égaie immédiatement les images de la télé qui en fait un usage glouton. Dans la grisaille automnale puis hivernale, les mutinés de la macronie ont inventé une éclatante identité visuelle. Au palmarès de la fashion-week protestataire, ils l’emportent haut la main.

Souvenons-nous de l’interminable pantomime gaucho-libertaire de “Nuit Debout” il y a quelques années sur la place de République à Paris. Galvanisés par les harangues obscures du mini-savonarole anticapitaliste Frédéric Lordon, des zadistes dépenaillés et des punks à chiens avinés s’étaient trémoussés pendant des mois avant de déguerpir devant l’avancée des camions nettoyeurs de la voirie municipale. Les “gilets jaunes”, c’est “Nuit Debout” chez les ploucs, avec un dress-code : ce foutu gilet.

Et puis, le gilet jaune, c’est pratique : tout le monde peut l’enfiler. On ne pose pas de question. Tout le monde, c’est-à-dire n’importe qui. Cela va du retraité modeste écœuré par la CSG à la mère célibataire caissière intérimaire en passant par le petit identitaire imbibé d’aphorismes de Soral glanés sur Facebook ou l’ex-communiste bonasse et bolivarien qui croit dur comme fer qu’Alexis Corbière est à Mélenchon ce que Che Guevara était à Fidel Castro.

La cohorte des gilets jaunes, c’est l’auberge espagnole de la rébellion franchouillarde. On peut apporter son manger, ses préjugés recuits, ses rancœurs, ses jalousies, ses frustrations. Il y a peu d’espoir mais des désespoirs à foison. Tout se vaut. Tout le monde a raison. On brandit des totems magiques qui changent d’un rond-point à l’autre. Certains parlent du “RIC” comme du but ultime, sans pouvoir préciser sur quoi on voterait et combien de fois par semaine. Le rêve circule de pouvoir révoquer tel ou tel politicien honni, le plus souvent ce Macron, trop jeune, trop lisse, trop narquois. Le retour de l’ISF est réclamé à cor et à cri pour punir “les riches”. Qui est “le riche” ? Celui qui n’est pas jaune. C’est simple.

Les opinions tranchées sont binaires comme des guillotines. Tu es avec nous ou tu es notre ennemi. Tu arbores un gilet couleur citron ou sinon, tu es marron. L’ignorance devient une vertu, elle réduit à néant toute tentative de débat informé. On réclame davantage de services publics en fustigeant les impôts trop lourds. Les “élites” sont précipitées vers les fosses communes où l’on jetait jadis les aristos décapités. On raccourcit, pas seulement les idées. Il n’y a pas de chef mais une armée mexicaine de “figures” médiatisées qui se chamaillent en ergotant sur le contenu d’un tract à l’orthographe rustique. “La preuve du pire, c’est la foule”, nous avertissait le stoïcien Sénèque, vingt-deux siècles avant la naissance de Jacline Mouraud, Eric Drouet et Maxime Nicolle, nos penseurs contemporains.

Au fil des semaines, après un nombre incalculable de vitrines brisées, de voitures incendiées et de distributeurs de billets de banque anéantis, le jaune a cependant tourné au vinaigre, du jaunâtre au saumâtre. Il était de notoriété publique, dès le départ, que les casseurs black-blocs et les nervis factieux s’étaient déguisés avec l’ostentatoire gilet. Ils s’étaient incrustés parmi les braves gens mécontents de leur sort. Les hooligans séditieux sont aujourd’hui les derniers des Mohicans de cette danse du scalp anti-LREM.

Les ronds-points, naguère centres du monde, reviennent à leur destination d’origine : un no-man’s land entre l’hypermarché et la station-service. Le gilet jaune est peu à peu remisé dans la boîte à gants. Il en ressortira à la première crevaison sur une départementale limitée à 80 km/h.

Jérôme Godefroy (février 2019)

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Written by Jérôme Godefroy

Ancien speaker à la TSF. Né sous Vincent Auriol.

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