L’art divinatoire de la conduite automobile au Myanmar (ex-Birmanie)
Conduire au Myanmar (ex-Birmanie), c’est mieux qu’un sport, c’est un art, un art largement divinatoire, fortement déconseillé aux étrangers. Le code de la route semble ici être une notion individuelle que chacun adapte à son tempérament.
Volants
La première difficulté majeure réside dans le fait que la plupart des voitures sont des voitures japonaises d’occasion avec volant à droite (comme au Royaume Uni). C’était très bien quand le pays respectait les habitudes laissées par les anciens colons britanniques, c’est-à-dire conduire à gauche. Mais un beau matin, un des généraux de la junte alors au pouvoir a eu l’idée subite de bannir par décret la coutume léguée par la puissance coloniale honnie. Il a fallu du jour au lendemain se mettre à conduire de l’autre côté. Sauf que les volants des voitures, des camions et des autocars sont restés à droite. On conduit donc à droite avec le volant à droite.
Dépassements
Pour effectuer un dépassement, il faut compter sur un bon karma plutôt que sur la visibilité. Mais on peut effectuer les dépassements des deux côtés, même sur les routes étroites. On ne choisit pas ce qui est le moins dangereux mais ce qui est le plus pratique. La ligne blanche continue au centre de la chaussée est purement décorative. On la franchit allègrement en toutes circonstances. Il faut être attentif aussi aux piétons qui traversent n’importe où. A leur décharge, il y a très peu de passages piétons, même en ville. Il faut aussi se méfier des nombreux chiens errants qui se couchent sur le bas-côté, en débordant parfois sur le bitume. Il y a également les deux-roues qui divaguent selon leur propre fantaisie. Très peu de vélos. Même dans la Chine voisine, ils devenus rares. En revanche, les motocyclettes pullulent partout.
Pas de deux-roues à Yangon
Partout, sauf à Yangon (ex-Rangoon, 5 millions d’habitants), où l’on ne voit aucun deux-roues, ce qui est très surprenant dans une grande ville asiatique. Quelle contraste avec Bangkok, Pékin ou Hanoï où les petites pétoires pétaradent par centaines de milliers ! Et pourquoi n’y a-t-il aucun cyclomoteur, moto ou scooter à Yangon ? Parce que c’est rigoureusement interdit. Et pourquoi est-ce interdit ? On m’a raconté qu’un général a été assassiné à bord de sa voiture de fonction par un homme armé circulant en cyclomoteur. Pour éviter qu’un tel incident fâcheux ne se reproduise, les autres généraux, soucieux de leur survie, ont banni totalement les deux-roues en ville. Et après ça, on dira que Macron est autoritaire…
Carburants
Du côté des carburants, les tarifs paraissent raisonnables : moins de 0,50€ le litre d’essence ou de diesel. Mais, amis « gilets jaunes » de France et de Navarre, ne vous précipitez pas pour venir faire le plein ici ! Il faudrait aussi que vous acceptiez d’adopter le niveau de vie du pays. Le SMIC a été augmenté cette année de 30%. Il est désormais fixé à 3€ par jour. Le smicard birman pourrait donc se payer 6 litres d’essence par jour, à condition de ne pas manger. Pure hypothèse car le smicard birman n’a pas de voiture. Environ 40% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, avec moins d’un euro par jour.
Immatriculations
Les plaques minéralogiques permettent de savoir à qui on a affaire. Les grosses voitures rutilantes ont souvent une plaque noire avec une étoile. Ce sont les véhicules appartenant à des gradés de l’armée. Le commun des mortels (assez riches pour posséder une voiture) roule avec une plaque noire sans étoile. Mais j’ai aperçu quelques gros 4x4 récents avec une plaque jaune. C’est la couleur réservée aux religieux, donc essentiellement à la hiérarchie bouddhiste.
Il est utile de rappeler que le bouddhisme se divise entre deux courants majeurs : le premier s’appelle « le grand véhicule », le second « le petit véhicule ». La distinction réside notamment dans la manière d’atteindre le Nirvâna, stade ultime de la réincarnation : pour tous, en même temps (grand véhicule), pour soi-même (petit véhicule). Le bouddhisme birman empreinte le petit véhicule. Mais parfois donc aussi un 4x4.
Jérôme Godefroy
(à Hpa-An, état Karen, Myanmar, décembre 2018)