Le blues Marine
Dimanche 30 avril 2017, une semaine avant le second tour de cette lancinante élection présidentielle, je passais par le square du Temple, dans le 3ème arrondissement de Paris où j’habite. C’était la journée de la déportation. Avec quelques drapeaux, un petit groupe de personnes âgées était rassemblé pour honorer la mémoire des 87 enfants morts en déportation à Auschwitz. 87 enfants de 6 ans ou moins. Parfois des nourrissons. Des enfants juifs. Le petit groupe a égrainé le nom de chacun de ces 87 enfants. Des enfants du 3ème arrondissement où j’habite. Dans le groupe, il y avait un vieil homme dont la cousine faisait partie des très jeunes morts d’Auschwitz. Une cousine déportée et morte à l’âge de 2 mois.
Je n’ai pas envie de faire un “point Godwin” : non, Marine Le Pen n’est pas Hitler. Pas exactement. Ce serait trop simple. Mais le Front National, le sien et celui de son père, est un parti néo-fasciste. Il en a les racines, l’idéologie, la rhétorique et les pratiques. Le 1er mai 1995, des militants du Front National ont jeté dans la Seine un jeune Marocain qui attendait sa fiancée sur le pont du Carrousel. Il ne savait pas nager, le fleuve était en crue, il s’est noyé.
On pourrait reproduire ici la liste des méfaits, des crimes et des mensonges de ce parti national-raciste. On pourrait décrire ses déchirements internes, ses nuits des longs couteaux et des petits canifs, jusqu’à l’éviction du patriarche fondateur. On pourrait railler les ralliements des opportunistes minables. On pourrait mettre en garde contre la folie suicidaire de son programme économique qui conduirait immédiatement la France à la banqueroute et à la misère.
On pourrait faire tant de choses. Mais, bizarrement, ces avertissements ont peu d’effet. On s’est habitué. Ces fascistes, menés par une plantureuse héritière blonde, font désormais partie du paysage. On ne se cache plus pour les soutenir.
Alors que le danger que représente cette cohorte haineuse n’a pas faibli, les beaux esprits de l’ultra-gauche conscientisée, les “insoumis”, les bolivariens chagrins, les abstentionnistes bien pensants, préfèrent rester le cul entre deux chaises : ni-ni. C’est inconséquent et politiquement indéfendable.
Les partisans de Mélenchon devraient se souvenir (voici un vrai gros point Godwin assumé) de l’attitude coupable des communistes allemands dans les années 1930. Le puissant Parti communiste allemand (KPD) refusa obstinément de faire alliance avec les sociaux-démocrates pour faire barrage à Hitler. Le KPD, sur instruction de Staline, désignait même les sociaux-démocrates comme leurs ennemis prioritaires.
Les communistes allemands votèrent avec les nazis les motions de censure parlementaires. Ils organisèrent avec les nazis la grève des transports à Berlin en novembre 1932 (même si, à cette occasion, des militants communistes furent tabassés à mort par les nervis nazis).
En 1931, deux ans avant l’accession (légale) d’Hitler à la Chancellerie, Ernst Thälmann, leader du KPD, écrivait : “La social-démocratie essaie, en évoquant le spectre du fascisme de Hitler, de détourner les masses d’une action vigoureuse contre la dictature du capital financier.” Exactement les mêmes arguments déployés par les “insoumis” et Jean-Luc Mélenchon contre le “banquier Macron”.
Les communistes allemands croyaient faire preuve de finesse tactique. Ils étaient persuadés que les travailleurs se détourneraient d’Hitler pour revenir vers eux. A cette époque, leur slogan était : “Nach Hitler, kommen wir !” (“Après Hitler, ce sera notre tour !”).
Leur tour ne vint pas. Arrivé au pouvoir, Hitler ne tarda pas à anéantir le KPD. Thälmann mourut à Buchenwald en 1944.
Ici s’arrête ce rappel historique qui n’a qu’un but : rappeler qu’il ne faut pas se tromper d’ennemi en multipliant les contorsions et les sophismes, prétextes à ne pas trancher. Ce sont des fantaisies d’enfants gâtés.
J’ai choisi. Je vote pour Emmanuel Macron, mais sans sauter de joie. Quand il sera élu, nous le critiquerons et, si nécessaire, nous le combattrons par la voie démocratique. Pas sûr que cette voie ne soit pas rapidement obstruée si les néo-fascistes français arrivent à leurs fins.
Et puis, franchement, il y a des personnages que je ne veux pas voir au pouvoir dans mon pays.
Si Macron l’emporte, comme c’est vraisemblable, il ne faudrait pas que le score de son adversaire néo-fasciste soit trop élevé, sous peine de voir s’amplifer la pesanteur du FN sur la vie politique française.
Aux petits malins qui disent : “Macron élu, c’est Marine dans 5 ans”, rappelons que si c’est Marine dimanche, c’est Marine tout de suite et pour 5 ans minimum.
Au second tour, je voterai à nouveau Emmanuel Macron, non pas parce qu’il incarne la solution miracle. Ce n’est pas l’homme providentiel. Il a des défauts, des faiblesses. Mais je voterai Emmanuel Macron parce qu’il incarne, parfois avec maladresse, tout ce que le Front National rejette : l’Europe, la libre entreprise, l’ouverture sur le monde, la tolérance, la bienveillance, l’optimisme.
Jérôme Godefroy (1er mai 2017)