Le jour où j’ai interviewé Giscard pour du beurre
J’ai le souvenir d’un tête-à-tête d’une vingtaine de minutes avec Valéry Giscard d’Estaing. Je ne me souviens plus très bien de quoi nous avons parlé car Giscard m’avait interdit d’enregistrer la conversation ou de prendre des notes.
C’était à Chamalières (Puy-de-Dôme), près de Clermont-Ferrand en mars 1982. J’étais journaliste à Europe 1 et la rédaction en chef avait décidé d’envoyer un reporter couvrir l’élection cantonale à cet endroit précis car, parmi les candidats, figurait un certain Valéry Giscard d’Estaing qui avait été battu l’année précédente dans l’élection présidentielle par François Mitterrand.
La victoire du candidat de gauche en mai 1981 avait été un cataclysme à Europe 1, radio ultra-giscardienne. Le matin du 11 mai, après la défaite de Giscard, l’état-major de la station, mouillé jusqu’au cou dans le camp VGE, s’apprêtait à faire ses valises tandis que les journalistes de gauche commençaient à prendre le pouvoir.
Le giscardisme était bien installé rue François 1er, adresse de la radio à l’ époque, et il avait permis notamment de censurer à l’antenne pendant plusieurs semaines l’affaire des diamants de Bokassa révélée en octobre 1979 par le « Canard Enchainé ».
Mais en mars 1982, c’est un rédacteur en chef de gauche qui m’envoie à Chamalières pour scruter Giscard, animal politique blessé, pour voir « la tête que faisait » celui qui avait été battu 10 mois plus tôt. On savait que VGE avait mal encaissé cet échec. Il s’était retiré dans un monastère au mont Athos en Grèce puis dans le ranch de son ami Jean Frydman, dans les Montagnes Rocheuses du Canada.
Giscard faisait son retour en politique, par la petite porte, celle des élections cantonales et ça valait la peine de voir ça de plus près. Peu de rédactions parisiennnes avaient eu cette bonne idée et, avec quelques confrères locaux, il y avait seulement une poignée de journalistes dans la commune auvergnate. Chamalières, dans la saga VGE, est aussi un lieu symbolique. C’est là qu’il avait annoncé sa candidature à la présidentielle de 1974.
Je me souviens de Giscard faisant sa campagne cantonale dans les boutiques de la petite ville. Je capte avec mon micro une conversation saugrenue entre VGE et une coiffeuse. « Si je comprends bien, madame, vous êtes en train de faire une mise en plis ? », s’enquiert Giscard avec la suavité de sa diction légèrement chuintante. « Non pas une mise en plis, monsieur le Président, c’est une mini-vague », répond le coiffeuse. « Ah, une mini-vague, comme c’est intéressant ! », s’exclame VGE. Cet échange cocasse a nourri un de mes reportages mais il fallait quand même que je rencontre le grand homme.
Il est d’accord pour me recevoir mais « sans microphone ni stylographe », précise-t-il. Ça risque de me compliquer la tâche mais j’accepte le rendez-vous à 14 heures, dans le bureau du maire de Chamalières. Je suis là à l’heure dite. Giscard aussi. Nous sommes tous les deux. Aucun témoin, aucun collaborateur.
J’ai Giscard pour moi tout seul. La conversation est assez animée. C’est surtout lui qui parle. J’essaie de l’interroger sur l’élection de 1981. Il élude toutes les questions sur ce sujet. J’ai l’impression d’avoir en face de moi un homme d’une intelligence exceptionnelle, une intelligence froide et presque chirurgicale. Je sors de cet entretien très impressionné mais je ne peux pas en faire grand chose journalistiquement. Je considère néanmoins que c’est un de ces moments privilégiés offerts parfois par cette profession.
Le dimanche soir, VGE gagne la cantonale dès le 1er tour avec un score éclatant de 72%. Je suis dans la salle des fêtes où l’on célèbre sa victoire. Giscard m’aperçoit et voit mon micro Europe 1. Je tente d’interviewer le nouveau conseiller général. Il refuse. Il ne fera sa rentrée médiatique qu’à l’automne suivant en participant en septembre 1982 à l’émission télévisée « L’Heure de Vérité ».
Jérôme Godefroy (Décembre 2020)