Mes souvenirs de Guy Bedos, entre AZF et le TGV.

Jérôme Godefroy
4 min readMay 29, 2020

AZF et TGV. Deux acronymes de trois lettres chacun résument mes deux rencontres marquantes avec Guy Bedos. J’y songe alors que l’artiste tire sa révérence.

AZF, d’abord. J’étais à Toulouse en septembre 2002 pour animer une émission spéciale de RTL sur la place du Capitole, un an après l’explosion dans l’usine chimique AZF située dans la ville (31 morts, 2500 blessés, des dégâts considérables). C’était un samedi. RTL avait installé un car-podium sur la place emblématique du Capitole où une cérémonie officielle était organisée, avec discours et hommage musical de l’orchestre régional.

Pour la cérémonie, le public était choisi. Pas question de laisser pénétrer les nombreux Toulousains furieux d’avoir été abandonnés après l’explosion dans leurs maisons éventrées près de l’usine. La place du Capitole était sévèrement gardée dans tous ses accès par de solides cordons de CRS. A 12h45, la cérémonie s’achève. Je me prépare à commencer l’émission de RTL qui débute à 13h. Les invités arrivent et s’installent sur le podium autour des micros. Le maire de Toulouse, Philippe Douste-Blazy est là ainsi que le préfet de Région, le rédacteur en chef du journal La Dépêche du Midi et d’autres personnalités dont un certain monsieur Chauzy de la Chambre de Commerce. Avant que l’émission ne commence, je me dis que ce monsieur Chauzy ressemble énormément à Guy Bedos.

Mais j’ai d’autres soucis en tête car les Toulousains en colère qui avaient été retenus par les CRS déferlent sur la place et s’agglutinent autour du car-podium de RTL. Il n’y a plus du tout de forces de l’ordre à l’horizon. L’atmosphère est houleuse. Il y a des cris et des slogans. L’émission commence. Je m’aperçois que le maire Douste-Blazy, sentant probablement que l’affaire pourrait ne pas tourner à son avantage, s’est enfui sans demander son reste pour se réfugier dans l’hôtel de ville tout proche.

Le préfet de Région, stoïque dans son bel uniforme, joue le jeu et participe au débat avec les autres invités. Pour faire baisser la tension dans la foule, j’invite un des représentants des Toulousains en révolte à exprimer son point de vue. Il accable les municipalités, actuelle et antérieures, qui ont laissé s’urbaniser les abords de l’usine meurtrière.

Et puis je veux passer la parole à ce monsieur Chauzy, de la Chambre de Commerce. Il me répond : « je ne suis pas monsieur Chauzy, je suis Guy Bedos ! » La ressemblance que j’avais remarquée était donc beaucoup plus qu’une ressemblance. Et Bedos poursuit : « je suis président d’honneur de l’association des victimes d’AZF !». Bedos s’était glissé devant les micros alors qu’il n’était pas vraiment invité. J’ignorais qu’il était présent à Toulouse, sinon je lui aurais demandé de venir, évidemment. Il se lance dans une brillante et violente diatribe contre la direction de l’usine et contre les pouvoirs publics, locaux et nationaux, qui ont, par imprévoyance ou incompétence, provoqué la tragédie de l’année précédente. Ça dure environ cinq minutes, c’est plein de colère mais c’est impeccable. Et puis Bedos se lève, pose le micro sur la table et disparaît.

L’émission (qui durait une heure) se termine. Je retrouve Bedos sur la place. Nous parlons quelques instants. Il a l’air d’être content de son coup. Moi aussi, d’une certaine façon. Son intervention a sacrément pimenté l’émission qui était déjà électrisée par la présence des manifestants. Nous nous séparons cordialement. Douste-Blazy a écouté l’émission dans son bureau de maire où il s’était réfugié. Il est furieux car la tonalité n’est pas en faveur de son action. Quelques jours plus tard, il exige mon renvoi auprès de la direction de RTL. Celle-ci répond que monsieur Douste-Blazy aurait pu très facilement faire valoir son point de vue dans l’émission à laquelle il était invité. Mais il a préféré s’enfuir.

Le TGV est le second point de rencontre avec Guy Bedos, probablement à l’automne 2013 ou 2014. Je voyageais entre la Côte d’Azur et Paris. A l’arrêt d’Avignon, un petit bonhomme monte et s’installe en face de moi. Cette fois, je sais que ce n’est pas monsieur Chauzy de la Chambre de Commerce de Toulouse. C’est bien Guy Bedos.

Il dort un peu et, quand il se réveille, il engage la conversation. Nous sommes en tête-à-tête. Je lui rappelle l’épisode de Toulouse dont il se souvient assez bien. Et puis je l’interroge sur la politique. Il est intarissable sur Mitterrand. Il évoque avec émotion Sophie Daumier, sa première partenaire à la scène et son ancienne épouse, emportée par une maladie dégénérescente implacable. Il parle de son métier, de la scène, de son plaisir immense d’avoir inventé sa légendaire « revue de presse ».

C’est un conteur chaleureux. Le train arrive gare de Lyon. Je l’accompagne sur le quai. Il marche lentement. Il me propose de partager un taxi. Il habite sur l’île Saint-Louis mais accepte volontiers de faire un détour pour me déposer place de la République où j’habite. Il me laisse son numéro de téléphone en me disant : « reparlons-nous à l’occasion. » Je n’ai jamais osé l’appeler.

Jérôme Godefroy (mai 2020)

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