Trois moments Aznavour

Jérôme Godefroy
5 min readOct 27, 2024

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Je viens de voir « Monsieur Aznavour », le biopic réalisé par Mehdi Idir et Grand Corps Malade. Le film est de facture classique mais il emporte tous ceux qui aiment le chanteur et l’incarnation proposée par Tahar Rahim est prodigieuse, tant sur le plan vocal que physique.

J’ai pour Aznavour respect et admiration. J’ai pu le rencontrer à trois reprises, dans des circonstances très différentes. A chaque fois, j’en garde un excellent souvenir. On ne peut pas en dire autant de tous les artistes de son calibre.

La première fois, c’était à New York où j’étais correspondant de RTL. Nous sommes fin octobre 1998. Aznavour s’est produit à New York de très nombreuses fois depuis les années 60. Cette année-là, il était sur la scène du Marquis Theater, en plein sur Times Square. Une grande salle où le chanteur devait se produire deux semaines. Le succès a été tel qu’il a dû jouer les prolongations pendant deux autres semaines. Aznavour était le seul artiste français pouvant se produire aussi longtemps à Broadway simplement en affichant son nom sur la devanture de la salle.

Le programme du spectacle de 1998

J’avais rendez-vous avant la première avec quelques confrères dans la suite de Charles Aznavour à l’hôtel Méridien pour l’interviewer. Accueil chaleureux et très longue conversation, intense et intéressante. Ce jour-là, Aznavour avait beaucoup parlé de la chanson country américaine qui n’était pourtant pas proche de son répertoire. Aznavour nous avait expliqué que la force des chansons country, c’est qu’elles racontent toutes une histoire. « Raconter une histoire, c’est ce que je fais aussi dans chacune de mes chansons », expliquait Aznavour.

Le soir même, j’assistais à la première du spectacle au Marquis Theater. Immense succès. Le public était très majoritairement américain et connaissait de nombreux titres du récital. Je me souviens que j’étais assis juste derrière Liza Minelli, grande amie de Charles.

Ma deuxième rencontre avec Aznavour nous conduit à Las Vegas, l’année suivante, en septembre 1999. Je suis toujours correspondant de RTL aux Etats-Unis (à New York) et ma radio me demande de me rendre d’urgence à Las Vegas pour l’inauguration du casino « Paris » dont les architectes ont construit comme décor une réplique miniature de la capitale française : Tour Eiffel, Arc de Triomphe, Opéra Garnier, le tout en demi-portion.

Le casino “Paris” à Las Vegas

Je file à Las Vegas par le premier avion. Le timing est très serré. Avec le décalage horaire, à mon arrivée, je n’ai que deux heures pour réaliser et envoyer mon reportage. J’interroge le directeur du lieu qui me dit « Notre casino, c’est Paris mais en beaucoup mieux : sans les Parisiens ! »

C’est déjà un élément amusant pour mon reportage mais il me faut absolument une petite interview d’un artiste français présent pour le spectacle d’inauguration. Je sais qu’il y a à l’affiche Catherine Deneuve, Michel Legrand, Line Renaud et… Charles Aznavour.

Le temps presse. J’explore les lieux à la recherche des stars. Et coup de chance, dans un ascenseur, je tombe sur Aznavour. Je lui explique mon problème : recueillir une courte déclaration afin d’envoyer très vite mon reportage à Paris. Aznavour est absolument adorable. Debout dans un couloir, il confie à mon micro quelques anecdotes sur le casino et sur ses passages antérieurs à Las Vegas. C’est exactement ce que je voulais. Je le remercie chaleureusement et je file envoyer mon reportage à RTL.

Ma troisième et dernière rencontre avec le chanteur est à Paris. Elle est beaucoup moins superficielle. C’est en septembre 2002. Je suis revenu à Paris et je présente l’émission emblématique de RTL « Le journal inattendu » le samedi à la mi-journée. C’est une émission d’information au cours de laquelle un invité commente l’actualité du jour mais aussi parle de son actualité à lui.

A ce moment-là, Aznavour était acteur dans un film intitulé « Ararat » réalisé par Atom Égoyan et qui venait de sortir. Ce film racontait, à travers le regard contemporain d’un cinéaste incarné par Aznavour, le génocide arménien de 1915 auquel ses parents avaient échappé. Un film très personnel pour le chanteur.

L’émission en direct commençait à 13 heures et durait une heure. Aznavour était le seul invité. J’avais vu le film et j’avais potassé le dossier Arménie. La veille de l’émission, l’attaché de presse d’Aznavour me demande à quelle heure l’artiste doit arriver. Par précaution, je dis : midi et demi. Je préférais compter large car certains invités ne sont pas ponctuels.

Le samedi de l’émission, alors que je suis en train de la préparer dans la rédaction de RTL, 22 rue Bayard, l’hôtesse d’accueil dans le hall me prévient par téléphone : « Monsieur Aznavour est arrivé ». Il est 12h15 ! Catastrophe, non seulement il n’est pas en retard mais il est en avance…

Le samedi dans la matinée, la rédaction est déserte. Il est hors de question que je laisse Aznavour attendre tout seul dans un coin. Je termine rapidement ce que j’ai à faire et je vais rejoindre Charles. Nous buvons un café. Il est très décontracté, volubile et habité par le sujet du film : l’Arménie.

Et là, je commets une erreur de débutant. Il ne faut jamais aborder le sujet d’une interview avant de faire l’interview pour de vai. Et c’est pourtant ce que nous faisons. Aznavour me parle avec passion du pays de ses origines. C’est très prenant. Notre tête-à-tête (hors micro) dure plus d’une demi-heure.

Mais quand nous entrons dans le studio pour faire l’émission, c’est forcément beaucoup moins bien. Je repose les questions posées dans la conversation privée. Aznavour répond moins bien en ayant le sentiment de se répéter. Je ne pense pas que les auditeurs aient remarqué quelque chose. Moi seul pouvait entendre la différence entre l’avant et l’après. L’émission était quand même intéressante.

Je repensais à ces trois « moments Aznavour » en sortant du film tout à l’heure. Et je me disais que j’avais eu beaucoup de chance de l’avoir rencontré trois fois, toujours avec grand plaisir, dans l’atmosphère de courtoisie et d’intelligence qu’il savait créer.

Jérôme Godefroy (Octobre 2024)

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Written by Jérôme Godefroy

Ancien speaker à la TSF. Né sous Vincent Auriol.

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