Woody Allen : encore un salaud de vieux mâle hétérosexuel blanc
Qui est cloué au pilori de la bonne conscience contemporaine ? Ne cherchez pas. Contemplez le pelé, le galeux, celui d’où vient tout le mal : le vieux mâle hétérosexuel blanc.
Une filiale américaine de l’éditeur Hachette renonce à publier les mémoires de Woody Allen. Le contrat était signé. Le livre devait paraître aux Etats-Unis début avril. Certains salariés américains de la filiale ont quitté les bureaux d’Hachette à New York pour se rassembler sur Rockefeller Plaza. Ils étaient quelques dizaines, principalement des jeunes femmes. Version newyorkaise de l’injonction de Virginie Despentes formulée en France pour célébrer le départ théâtral de l’actrice Adèle Haenel de la cérémonie des Césars : « On se lève et on se barre ».
L’’écrivain Stephen King a eu la réaction la plus juste : « La décision d’Hachette de laisser tomber Woody Allen me met très mal à l’aise. Ce n’est pas lui, je me fiche de M. Allen. Ce qui m’inquiète, c’est qui sera muselé au prochain coup ».
Cela me rappelle le texte du pasteur allemand Martin Niemöller (souvent attribué par erreur à Berltot Brecht) :
« Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester. »
Woody Allen était déjà paria par ses films aux Etats-Unis. Ils n’y sont plus distribués. Même un ciné-club n’oserait plus projeter « Manhattan » à Manhattan. Voici à présent que ses écrits sont interdits parce que des salariés de l’éditeur ont quitté leur bureau pour organiser une petite manifestation et parce que la maison Hachette a succombé, dans la panique, à la pression de cette dénonciation.
Les salariés répondaient à l’appel lancé sur Twitter par le journaliste Ronan Farrow, le propre fils de Woody Allen (et de Mia Farrow) qui poursuit depuis des années son père de sa vindicte. Ronan Farrow, célèbre pour avoir révélé l’affaire Harvey Weinstein, affirme depuis longtemps que Woody Allen a abusé sexuellement de Dylan, sa fille adoptive, mineure à l’époque. Le cinéaste a toujours démenti les faits. Woody Allen n’a jamais été condamné dans cette affaire ni dans aucune autre.
Cette affaire doit beaucoup au contexte très perturbé du couple que formaient l’actrice Mia Farrow avec Woody Allen. Ils ne vivaient pas sous le même toît à New York. Mia Farrow avait une tribu d’enfants adoptés sur qui elle exerçait une pression maternelle constante. Deux se sont suicidés après leur adolescence. Un troisième, une fille, est morte de maladie dans la misère.
Mia et Woody ont un seul enfant biologique, Ronan Farrow même si la ressemblance troublante de Ronan avec Franck Sinatra laisse supposer que c’est plutôt le fils du chanteur que du cinéaste. Mia Farrow et Sinatra avaient été mariés dans les années 60. Sur la paternité de Ronan, Mia a toujours laissé planer le doute. Les yeux de Ronan évoquent davantage ceux de Sinatra que ceux de Woody Allen…
Dans le couple Farrow-Allen tout explose quand Allen commence à avoir une liaison avec Soon-Yi, une jeune fille de 20 ans qui est l’un des enfants adoptés par Mia Farrow avant sa rencontre avec Allen. Soon-Yi est majeure et n’est pas la fille adoptive de Woody Allen, ni même sa « belle-fille » puisque Farrow et Allen ne se sont jamais mariés.
C’est à ce moment là que Mia Farrow lance l’accusation d’inceste contre Allen, affirmant qu’il aurait abusé d’une enfant de la fratrie, Dylan, âgée de 7 ans au moment des faits supposés. Cette accusation n’a jamais été retenue par la justice malgré deux longues enquêtes de services sociaux. Ronan Farrow, devenu le célèbre journaliste, reste l’accusateur le plus virulent. Il était présent dans la maison de campagne où l’inceste supposé se serait déroulé. Ronan, à cette époque, avait 4 ans, un peu jeune comme témoin crédible, et il était déjà totalement acquis à la cause de sa mère pour accabler son père. Ce ressentiment s’est aggravé avec les années.
Celui qui remet les choses en place, c’est un autre enfant de cette famille. Il met en pièces l’hypothèse d’un inceste. Il était lui aussi dans la maison. Il avait 14 ans, ce qui permet d’avoir des souvenirs plus précis qu’à l’âge de 4 ans. Il s’agit de Moses Farrow. Il a une quarantaine d’années aujourd’hui. Il est devenu psychologue familial. Compte-tenu de son enfance, c’est assez logique. Il a publié un long récit très circonstancié qui innocente totalement Woody Allen de l’accusation d’inceste. (A lire en cliquant ici).
Que reproche-t-on au livre de Woody Allen, intitulé « Apropos of Nothing » (« Soit dit en passant », dans la version française attendue chez Stock fin avril mais également menacée de censure) ? D’être écrit à la première personne. Ce sont des mémoires. Woody Allen y écrit sa vérité, forcément subjective. Ronan Farrow, le fils accusateur, demande à Hachette que les autres points de vue soient insérés de l’ouvrage. Il faudrait que sa soeur Dylan puisse témoigner ! Raisonnement absurde. Des mémoires sont forcément une œuvre personnelle, un plaidoyer pro domo. Ce n’est pas une enquête contradictoire. Ronan Farrow, comme il l’a fait pour Weinstein, pourrait fort bien écrire l’ouvrage critique sur le sujet. Il ne s’est d’ailleurs pas privé d’écrire déjà de nombreux articles dans la presse sur les turpitudes supposées de son père.
On se retrouve dans la situation des « Mémoires de Casanova », écrits en français à la fin du XVIIIème siècle par l’aventurier vénitien et publiés après sa mort en 1825 dans une version expurgée. L’ouvrage sera interdit en 1834 en étant placé à l’index des livres sulfureux établi par le Vatican. Il circulera par la suite sous le manteau dans des éditions plus ou moins authentiques. Il faut attendre 1960 pour qu’une édition complète et respectueuse du manuscrit soit enfin publiée. En 2010, ce manuscrit est acheté par la Bibliothèque Nationale. C’est un gros ouvrage : 12 volumes.
Les aventures de Casanova sont celles d’un escroc flamboyant et surtout d’un séducteur compulsif qui révulserait au plus haut point nos féministes contemporaines. Casanova n’était pas très “me too”. Pour la publication contemporaine de cet ouvrage, a-t-on cherché à raconter le point de vue des nombreuses femmes que Casanova a séduites, souvent de force ? Non. Il est clair que c’est son récit personnel qu’on entend. Les mémoires de Woody Allen sont également rédigés à la première personne du singulier. Et par rapport à Casanova, Allen est vraiment un petit joueur en matière de frasques. Mais son livre subit aujourd’hui la censure, comme celui de Casanova. Ce n’est plus l’Eglise catholique qui interdit le livre. C’est la meute de l’intolérance, plus puissante aujourd’hui que celle de la papauté.
Le cas de Roman Polanski est sensiblement différent. Mais, contrairement à ce que l’on dit par méconnaissance du dossier, Polanski n’a jamais été jugé et encore moins condamné en 1977 en Californie. Après les « relations sexuelles inappropriées » avec la jeune Samantha, 13 ans, seule charge retenue (et pas le viol), Polanski accepte un « plea bargain » avec le juge (un « plaidé coupable »), procédure qui évite un procès, avec audiences et décorum.
Le juge, sans infliger la moindre sentence, ordonne une évaluation psychologique du réalisateur qui dure 42 jours dans une prison de Californie. Cet examen détermine que Polanski n’est pas un détraqué sexuel. Le juge laisse entendre que le cinéaste pourrait s’en sortir avec une peine largement assortie de sursis. Mais Polanski, toujours pas formellement condamné, se méfie et décide de fuir. C’est son erreur car, s’il avait affronté la justice à l’époque, l’affaire aurait été probablement classée assez vite et n’aurait pas connu pendant aussi longtemps un retentissement international.
Donc, Polanski n’a jamais été jugé et condamné dans l’affaire de 1977 ni dans aucune autre ensuite. La multiplication des accusations lancées contre lui dans les années suivantes ne peut constituer une preuve de culpabilité. Les rares plaintes déposées sont déclarées irrecevables. Même chose pour Woody Allen contre qui les rares poursuites ont été abandonnées.
Etre un vieil homme blanc hétérosexuel est devenu un handicap rédhibitoire. Il n’y a plus de nuances, plus de gradation dans la faute. Pour un Harvey Weinstein, criminel libidineux récidiviste, justement poursuivi par la justice de son pays, combien de personnalités, coupables d’être célèbres, sont jetés à la fosse aux lions, sans distinction, sans autre forme de procès ?
Woody Allen et Polanski ne sont sûrement pas des anges. Ce sont des créateurs, des artistes, des êtres humains avec leurs failles et leurs faiblesses. Les transformer en monstres ne sert pas la vérité. On perd toute mesure. Les empêcher de s’exprimer est un crime plus grand que ceux qu’on tente de leur imputer.
Jérôme Godefroy (Mars 2020)